L’information vient de tomber, légèrement en retard, mais est d’importance capitale.
Accueilli par le bourreau Charles-Henri Sanson à sa descente du carrosse, le monarque désigne son confesseur à l’un des bourreaux et lui dit : « Je vous recommande le prêtre que voici. Ayez soin qu’après sa mort il ne lui soit fait aucune insulte. »5 Calme, il ôte ensuite lui-même sa redingote brune et son foulard-cravate. À la demande de Sanson, il ouvre le col de sa chemise.
Voyant qu’on veut lui lier les mains, le roi refuse : « Me lier ! Non, je n’y consentirai jamais. Faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas, renoncez à ce projet. » Évoquant l’exemple du Christ, l’abbé de Firmont réussit à le convaincre. Louis XVI déclare alors à ses bourreaux : « Faites ce que vous voulez, je boirai le calice jusqu’à la lie. »16. On lui lie alors les mains dans le dos par son propre mouchoir ; un assistant de Sanson découpe grossièrement son col puis le rabat et lui coupe les cheveux17. Accompagné par des roulements de tambour, le roi, assisté de l’abbé Edgeworth, monte sur l’escalier et rejoint les cinq bourreaux (Sanson et ses quatre assistants) sur la plate-forme18,19.
Contre toute attente, Louis XVI s’avance sur le bord gauche de l’estrade. Il fait signe aux tambours de s’arrêter et déclare d’une voix forte : « Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. »20 Il veut poursuivre mais Santerre21 donne l’ordre de faire battre à nouveau les tambours pour couvrir sa voix. Certains auteurs mentionnent que l’ordre a été donné par d’autres protagonistes : parmi les noms cités, ceux de de Dugazon, Beaufranchet d’Ayat ou du tambour Pierrard22. La légende historique attribue généralement cet acte à Santerre, mais celui-ci n’aurait fait que transmettre l’ordre du général Berruyer, commandant en second de Paris22,23 L’abbé de Firmont lui crie alors : « Fils de Saint Louis, montez au Ciel ! »24
À 10h22, la planche bascule, la lunette de bois se referme sur sa tête et le bourreau Charles-Henri Sanson actionne le couperet. Gros, un assesseur du bourreau, saisit la tête sanguinolente et la présente au peuple. Certains auteurs prétendent au contraire que la tête fut prise par Henri Sanson, le fils du bourreau25. Quelques parisiens crient « Vive la Nation ! Vive la République ! Vive la liberté ! » Quelques salves d’artillerie sont tirées et certains dansent la farandole26. Jacques Roux commissaire de la Commune de Paris, rédige le procès-verbal de l’exécution ; il précise que des citoyens recueillent sur l’échafaud ensanglanté le sang du roi avec leurs mouchoirs, leurs piques ou leurs sabres. Certains veulent acheter au bourreau des mèches de cheveux du roi, les bourreaux plongent leurs doigts dans le sang et se barbouillent mutuellement le visage27. Le biographe Éric Le Nabour note même que l’on peut voir « un ci-devant grimper sur l’estrade, se frotter les bras avec le sang de Louis XVI, puis en asperger le public par trois fois en un sinistre et ultime rituel. » Cet homme, un révolutionnaire brestois, lance alors à la foule : « Républicains, le sang d’un roi porte bonheur ! »28 Le canon tonne et prévient la famille du Roi restée à la Tour du Temple que l’exécution a eu lieu12.
Vers 10h25, un homme se trouvant près de l’échafaud, Christophe Potter, parvient à duper le groupe de sans-culottes présents autour de la guillotine : il réussit à obtenir contre un louis d’or, les cheveux du roi et un mouchoir maculé de sang. Potter disparait en se fondant dans la foule et dès que possible, il va faire passer ces compromettantes reliques en Angleterre, chez son frère George Potter, prospère marchand londonien. Ce dernier fera confectionner une bague contenant quelques cheveux de Louis XVI et l’offrira au roi, George III29.